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Tous les weekends
d'avril à septembre, des milliers de pigeons voyageurs
sillonnent le ciel de France.
C'est la grande époque des concours et des championnats,
attendus avec fébrilité par tous les colombophiles.
La Souterraine, dans la Creuse, dimanche 28 avril,
sept heures du matin. Des camions sont garés dans
un champ. Un coup de klaxon et les portes de centaines
de cages s'ouvrent. En moins d'une minute, en jaillissent
plus de 50 000 pigeons animés par un seul but: rentrer
chez eux au plus vite, à plus de 250 km de là. Les
oiseaux n'ont pas hésité une seconde et c'est un nuage
compact et bruyant qui file plein nord, droit vers
les colombiers. L'incroyable sens de l'orientation
des pigeons voyageurs et leurs performances en vol
(ils peuvent parcourir 1200 km en 16 heures et voler
à plus de 110 kmih) sont à l'origine de ces concours,
de la passion et du travail qu'ils engendrent. Car
s'il est naturellement doué, il faut quand même au
pigeon voyageur un entraînement sérieux et régulier
pour faire de lui un vrai champion.
Un symbole de liberté
Sa faculté à s'orienter mieux que toute autre espèce
animale reste encore largement inexpliquée. Des cristaux
de magnétite ont bien été trouvés à la base de son
cerveau, mais il semblerait que le pigeon se serve
d'un ensemble de facteurs tels que la position du
soleil, le champ magnétique terrestre, un odorat et
une vue exceptionnels pour trouver sa route. Les prédispositions
naturelles de l'oiseau ont aussi été décuplées par
des siècles d'utilisation humaine. Noé, le premier,
sut tirer partie de cette aptitude à retrouver son
nid. Sa colombe revint à l'Arche avec un rameau d'olivier.
Les champions grecs s'en servaient pour annoncer chez
eux leurs performances lors des jeux Olympiques, tout
comme les marins égyptiens et phéniciens qui signalaient
ainsi l'arrivée prochaine de leurs navires. Jules
César les utilisa pour informer le sénat de ses conquêtes.
En 732, Charles Martel fit de même pour faire connaître
sa victoire à Poitiers contre les Sarrasins.
Même si, à l'époque, les performances
des oiseaux sont liniitées (distance de 150
km maximum, pertes importantes), le pigeon devient
vite un outil de pouvoir. Charlemagne le réserve
donc à la noblesse et au clergé, un
privilège qui ne sera aboli que le 4 août
1789. Dès lors, la colombophilie sportive se
développe et les premiers concours sont organisés
en 1800 dans le Nord de la France où le pigeon
semble être devenu symbole de liberté,
en particulier pour les mineurs de fond. C'est au
cours de ces mêmes années qu'apparaît
progressivement le pigeon voyageur actuel, savant
mélange de races locales telles que le "culbutant",
le « camus», le "cravaté"
ou le ci carrier". En 1849, le Cercle Union,
première association colombophile française,
est fondé à Roubaix. Avec le siège
de Paris en 1870, l'utilisation des pigeons voyageurs
redevient militaire. L'armée française
en utilisera plus de 30 000 en 14-18 et la Résistance
en recevra 16 500, parachutés par les Alliés
à des fins de renseignement et d'espionnage.
Réquisitionnés
en temps de guerre
C'est au mont Valérien, en banlieue parisienne,
que se cache le dernier pigeonnier militaire français.
Lorsque dans les années 60, les compagnies
colombophiles sont dissoutes, une poignée d'officiers
se bat pour obtenir le maintien d'un contingent en
hommage aux milliers de pigeons morts pour la France
aux cours des dernières guerres. D'abord installée
au Camp des Loges à Saint Germain en-Laye,
la vingtaine de pigeons est transférée
le 1er juillet 1981 au mont Valérien.
Depuis, incorporé au régiment de transmissions,
le groupe a bien prospéré puisque le
pigeonnier compte aujourd'hui plus de 150 oiseaux.
Autorisé en 1989 à participer aux concours
organisés par la Fédération française
de colombophilie, le colombier militaire a donné
quelques champions fameux. En poste depuis 1998, l'adjudant
Ouvrard veille avec passion sur ses pensionnaires
et son petit musée qui raconte des siècles
d'utilisation militaire. Démobilisé
en 1994, le pigeon voyageur reste néanmoins
toujours susceptible d'être "appelé"
pour reprendre du service.
Il doit être
opiniâtre, endurant et... beau.
Aujourd'hui, tout l'art de la colombophilie réside
dans l’entraînement des pigeons. Dès
que le jeune se met à voler (quand il atteint
environ 30 jours), il faut lui apprendre à
reconnaître son colombier, à y revenir
et surtout à y entrer sans attendre. Les concours
se jouent parfois à quelques secondes et rien
n'est plus pénible pour un colombophile que
de voir son pigeon se poser sur le toit voisin. Certains
de ces concours se jouent au veuvage. La technique
est simple. Il suffit de séparer le mâle
de la femelle deux jours avant le concours. Une fois
lâché, le mâle, qui possède
un sens certain de la propriété, n'a
plus alors qu’un seul objectif : retrouver sa
femelle et sa case. On a alors toutes les chances
que le pigeon réalise une performance hors
norme. L'épreuve de grand fond, telle la prestigieuse
Internationale de Barcelone qui voit les pigeons parcourir
1000 km et franchir les Pyrénées, nécessite
d'autres qualités comme l'endurance et l'opiniâtreté,
Un bon pigeon n'aura pas peur de se détacher
d’un groupe et de voler seul pendant des heures.
La période des concours prend fin en septembre
lorsque commence la mue des pigeons et que s'ouvre
la période de la chasse. Mais L’année
n'est pas finie pour autant L'hiver, le colombophile
et ses champions vivent au rythme des expositions
et des concours de beauté où sera jugée
harmonie de l’oiseau.
Créée en 1905, la Fédération
compte aujourd'hui près de vingt mille adhérents
dont la moitié se trouve dans le Nord de la
France. Divisée en 20 régions regroupant
elles mênes 875 associations, elle veille sur
quelque trois millions de pigeons voyageurs recensée
dans l’hexagone. Depuis la loi du 23 juin 1994,
c'est en effet elle qui détient la responsabilité
de l'organisation colombophile civile, jadis exercée
par l'Etat. La Fédération comprend plusieurs
sections dont une scientifique qui travaille sur les
traitements êpidémiologiques, le sens
de l'orientation et les évolutions techniques
telles que le développement des constateurs
électroniques, machines qui permettent de calculer
à la seconde prêt l'arrivée des
pigeons lors des concours. Son rôle primordial
reste l'accueil et la formation des adhérents,
et surtout l'organisation de plus de 8 000 concours
par an. Autre rôle moins connu, la protection
du pigeon voyageur dont la destruction volontaire
est considérée comme un délit.
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